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OGM : risques pour les évaluations scientifiques
Notre collègue Marcel Kuntz vient de publier un excellent article dans
EURACTIV
Nous publions ci après la traduction donnée par Albert Amgar dans son blog Albert Amgar dans son blog
Selon EurActiv, « Le président français, François Hollande, rencontrera des problèmes juridiques sur la question de l'interdiction de culture des organismes génétiquement modifiés, ce qui aura des implications pour l'évaluation scientifique des risques dans l'UE, expliquent Marcel Kuntz, John Davison et Agnès E. Ricroch. »
Marcel Kuntz est directeur de recherche au CNRS de Grenoble en France. John Davison est directeur de recherche retraité de l’INRA et Agnès E. Ricroch est Maitre de Conférence à AgroParisTech à Paris.
Le président français François Hollande a annoncé que l'interdiction de la culture des plantes « génétiquement modifiées », initiée par son prédécesseur Nicolas Sarkozy, restera en place. Ainsi, le nouveau gouvernement devra faire face au même problème juridique que l'ancien et cela aura des implications importantes pour l'évaluation des risques fondée sur la science dans l'UE.
En février 2012, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a envoyé un document intitulé « mesures d'urgence » (MU) à la Commission européenne (CE), prétendant fournir de nouvelles informations sur les risques environnementaux des variétés de maïs MON810 porteur d’un gène de résistance aux insectes.
Cela a été suivi par la publication en mars 2012 d'un arrêté national interdisant sa culture. Déjà en février 2008, le gouvernement avait suspendu la culture des variétés de maïs MON 810 sur la base de leurs impacts négatifs potentiels sur l'environnement, mais ses allégations avaient été systématiquement rejetées par l’EFSA, Autorité européenne de sécurité des aliments.
En fait, la position française était un changement vers une politique de green-washing ou blanchiment d’image (sur la signification de greenwashing, on lira ce document ici -aa). Le gouvernement allemand a également suspendu la culture du MON810 en avril 2009 et l’a également justifié par des soi-disant nouvelles données sur les impacts négatifs sur l’environnement. Une publication scientifique et la Commission Centrale de Sécurité Biologique allemande (ZKBS) ont rejeté ces allégations.
Pour comprendre l'implication de ces évènements, il est important de garder à l'esprit qu’en Europe, les « organismes génétiquement modifiés » (OGM) sont réglementés par la loi de l'UE et qu'un moratoire sur la culture des OGM doit avoir des raisons valables avec une base scientifique.
Toutefois, l’interdiction de la culture commerciale du maïs MON810 approuvée par l'EFSA (mise en œuvre désormais par 8 Etats-Membres : Autriche, Hongrie, France, Grèce, Luxembourg, Allemagne Bulgarie et l'Irlande) avait en réalité seulement des motifs politiques ou économiques.
Par conséquent, l’interdiction française de la culture du maïs MON810 par la France a été déclarée illégale en novembre 2011 par la plus haute autorité juridique, le « Conseil d'Etat », à la suite de conclusions similaires par la Cour européenne de Justice publiées en septembre 2011.
Malgré cet échec selon les lois européennes et françaises, l'ancien ministre français de l'écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet a immédiatement déclaré que l'interdiction va se poursuivre et en février 2012, son ministère a produit un document intitulé « mesures d'urgence », qui a été soumis à la CE.
Ce document sur les MU contient de prétendues nouvelles et vitales informations concernant le risque environnemental, qui n'ont pas été examinées par l'EFSA.
La réitération de ces allégations environnementales a de profondes implications. Soit elles sont vraies et cela signifie que le système européen d'évaluation de risque est défectueux (pour ne pas les avoir identifiés). Ou soit elles sont fausses et cela signifie que certains gouvernements de l'UE qui veulent interdire la culture d'OGM ont délibérément mis en œuvre de fausses allégations lorsque les précédentes étaient réfutées.
Par conséquent, en février 2012, nous avons décidé de procéder à une analyse point par point de chaque question soulevée par le document français sur les MU. Notre analyse complète peut être consultée ici. En résumé, le document sur les MU ne contient pas seulement aucune nouvelle preuve scientifique, mais d'authentiques rapports scientifiques,dont ceux du groupe scientifique sur les organismes génétiquement modifiés (GMO) de l’EFSA ont été déformés et faussement attribués.
D’autres articles scientifiques (au moins huit depuis 2008), en rapport avec le sujet et qui fournissent une image différente, sont ignorés. Des arguments supplémentaires (par exemple la possibilité d'apparition de la résistance chez les ravageurs ciblés par le MON810) sont pertinents pour la gestion des risques et ne peuvent pas être utilisés pour justifier une interdiction (qui doit être fondée sur un risque immédiat et grave pour l'environnement).
Plus important encore, nous avons obtenu des déclarations écrites des auteurs originaux dont les publications ont été délibérément déformées dans le document sur les MU. En mai 2012, l'EFSA a également conclu que ce document ne fournit aucune information qui n'avait pas déjà été prise en considération.
Ce tour de passe-passe de l'évaluation scientifique des risques dans cette histoire est illustré par le fait que le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) n'a pas été consulté.
Dans une lettre à (l’ancien) Premier Ministre, le président de HCB exprime « l'émotion » des membres du comité scientifique et leur surprise qu’une « autre expertise semble avoir été mobilisée » et que des parties tronquées de leur précédent avis scientifique ont été utilisées.
Il convient de noter que les arguments fournis par le gouvernement allemand en 2009 avaient également été produits par des auteurs anonymes, sans passer par l'agence officielle nationale.
Ainsi, l'histoire de l’interdiction des OGM dans l'UE soutient l'observation que les politiques citent et/ou font une mauvaise utilisation des publications scientifiques en fonction de leurs décisions politiques. Bien que l'analyse des risques devrait être divisée en évaluation des risques (un processus scientifique) et une gestion des risques, certains gouvernement (par exemple celui de la France et de l'Allemagne) interfère avec l’analyse scientifique pour justifier leur manipulation politique de la gestion des risques.
Si cette nouvelle interdiction française de la culture du maïs MON810 est à nouveau rejetée par les autorités juridiques, il reste à voir si le gouvernement Hollande produira également sa propre « science parallèle » pour prolonger l'interdiction.
On peut noter que le nouveau ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll a, le 1er juin, dénaturé un avis de l'EFSA et l'ANSES afin de justifier son intention d'interdire l'insecticide Cruiser OSR (utilisé comme enrobage des graines de colza) en raison d'une prétendue incidence sur les abeilles (rejetée par l'EFSA et l'ANSES).
Ainsi, il s'agit d'une tendance générale, les décisions réglementaires concernant la gestion des risques sont de moins en moins fondées sur la science dans l'UE. L'EFSA a été créée en tant qu'agence scientifique indépendante et le processus actuel de l'évaluation de la sécurité des cultures transgéniques en Europe, basé sur le principe de précaution, est sans doute trop strict.
Néanmoins, l'EFSA est sous une pression politique constante de certains États-Membres, dont la France et les ONG environnementalistes. Cela doit être compris dans un contexte où le Conseil de ministres de l'agriculture n'a jamais été en mesure de parvenir à une décision à la majorité. Dans un tel cas, la décision appartient à la CE, qui accepte toujours les recommandations de l'EFSA.
Cela a provoqué un antagonisme envers l'EFSA, entraînant des accusations d'être partiale et liée à l'industrie des biotechnologies. Des États-Membres pourraient être encouragés par le comportement du gouvernement français afin de produire leur propre interprétation des publications scientifiques. Cela non seulement nuit à la crédibilité du groupe scientifique de l’EFSA, mais à l'évaluation scientifique des risques plus généralement, et, finalement, à la crédibilité de leurs propres stratégies de gestion des risques sur d’autres sujets que les OGM.
Ces Etats-Membres ignorent le fait que l'EFSA est la seule garantie de l'objectivité scientifique à la disposition du CE, et la dernière barrière certes affaiblie afin d'éviter des décisions arbitraires submergeant l'UE chaque fois que des questions de risque présumé seront évoquées.
JP Zryd
Prof Honoraire Université de Lausanne