La schizophrénie du Parti Socialiste

Lettre adressés à Mme Anne-Catherine Lyon à l'issue de la campagne de votation de 2005 (Moratoire OGM au niveau fédéral et Animalerie de l'UNIL au niveau cantonal)
Mme Lyon a répondu très aimablement à cette lettre en me disant qu'elle "réfléchirait au problème". En attendant le Parti Socialiste Suisse maintient toujours sa position de dénigrement de la recherche scientifique suisse sur les OGM et des chercheurs qui y travaillent.

Lausanne, le 30.11.2005

Madame Anne-Catherine-Lyon
Conseillère d’Etat
Département de la formation et de la jeunesse
Rue de la Barre 8
1014 Lausanne

Concerne : votations du 27 novembre 2005

Madame la Conseillère d’Etat,

Nous avons été désavoués lors des consultations populaires du dernier week-end. Vous, en tant que responsable politique de l’Université de Lausanne, moi en tant que chercheur solidaire de ses jeunes collègues.
Ne soyons pas trop pessimistes, nous en avons vu d’autres. Le CIG perdra peut-être un ou deux chercheurs de réputation internationale, mais il pourra toujours changer ses priorités lors des recrutements futurs ; enfin, il sera peut-être possible de trouver des succédanés à l’animalerie prévue. La biologie végétale survivra probablement à un moratoire de 5 ans sur les OGM.
Cependant ceci ne nous dispense pas d’analyser en profondeur des causes de cet échec. C’est à ce propos que je souhaite vous interpeler. Dans une interview accordée à « l’Hebdo » et consacrée à l’animalerie de Dorigny, à la question portant sur votre position relative à l’initiative « Stop-OGM », vous avez répondu ceci: je voterai oui, selon le mot d’ordre du Parti socialiste, car le moratoire ne touche pas la recherche. Nous avons tous noté la petite réticence qui vous a incité à vous réfugier sous le mot d’ordre du Parti.
Votre parti, le Parti socialiste, est un parti gouvernemental ; à ce titre il a, en règle générale, soutenu les crédits à la recherche scientifique et l’aide aux Universités. Cependant ce même Parti milite intensivement depuis plus de dix ans, pour une interdiction du génie génétique en Suisse ; il a soutenu en 1998 l’initiative dite de « protection génétique » qui visait une interdiction totale et définitive des OGM, puis en 2005 le moratoire sur les OGM dans l’agriculture. Cette attitude schizophrénique n’a cessé de surprendre les scientifiques. Le Parti ne les a pas écoutés et, dans sa propagande, il a tout fait pour les discréditer ; aujourd’hui nous récoltons les fruits de cette pensée. Le peuple a compris le message ; il sait maintenant qu’il y a des «bons» scientifiques, ceux que le Parti déclare tels, et de «mauvais» scientifiques, ceux que le Parti accuse, en particulier, et c’est là le reproche le plus courtois, de manquer d’indépendance et de distance critique. Il y a aussi ceux qui sont «bons» un jour et «mauvais» le lendemain.
Pour en revenir à l’échec de l’animalerie du CIG, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que l’absence de crédibilité envers les milieux scientifiques à certainement influencé le vote. Comment croire en effet des gens auxquels les partis de gauche ne font aucune confiance et de plus sur un sujet contesté par l’extrême droite pour des raisons financières.
J’use de la majuscule pour désigner le Parti socialiste. En effet, j’ai eu l’occasion d’observer de près à deux reprises les effets de la doctrine d’un Parti sur la science. Dans ces deux cas le Parti a décidé quels étaient les «bons» et les «mauvais» scientifiques. Le premier de ces cas est celui du «bon» scientifique Lyssenko en Union soviétique ; il réussi à faire interdire la génétique, idéologiquement inacceptable, représentée par le «mauvais» scientifique Vavilov ; ce refus de la génétique conduit toute l’agriculture soviétique à un désastre dont la Russie d’aujourd’hui se sort à peine. Il y a encore une quinzaine d’année, l’enseignement de la génétique n’existait pas dans les pays de l’ancien bloc de l’est. Le deuxième cas est celui de la révolution culturelle en Chine ; je ne saurais mentionner ici tous les «mauvais» scientifiques qui ont souffert ou sont morts pendant ces années terribles. Ce que je peux dire est que, en tant que jeune chercheur, dans les années 70, j’ai eu l’occasion d’admirer le travail qu’effectuaient les généticiens et agronomes chinois rescapés de cet enfer pour remettre en route une agriculture dévastée et nourrir la population.
La situation dans notre pays n’est pas si tragique, mais elle incontestablement préoccupante. Le Parti socialiste porte une lourde responsabilité dans la dégradation de l’image de la science et de la recherche scientifique ; il ne suffit pas de voter des crédits. Vous avez-vous-même implicitement reconnu, à propos du moratoire, que vous préfériez suivre le mot d’ordre du Parti plutôt que d’écouter les scientifiques de votre Université. Vous estimez sans doute avoir remporté une victoire nécessaire en ce qui concerne le moratoire sur les OGM, mais le corollaire à cette victoire est l’échec du projet d’animalerie. Les deux votes sont un désaveu du peuple envers les milieux scientifiques; leurs conséquences pourraient bien être celles que personne ne souhaite, c'est-à-dire une péjoration des conditions de travail des chercheurs et des enseignants et un prélude à une dégradation inéluctable de la biologie en Suisse.

Veuillez agréer, Madame la Conseillère d’Etat, l’expression de ma haute considération,

Jean-Pierre Zrÿd, professeur honoraire de l’Université de Lausanne

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