Interview
Deux étudiantes1 m'ont soumis un interview qu'elles doivent inclure dans un travail de maturité.
J'ai trouvé les questions pertinentes et très révélatrices de la perception générale du public concernant les OGM. J'ai donc estimé intéressant de mettre ce document à votre disposition (cf aussi http://www.who.int/entity/foodsafety/publications/biotech/en/20questions_fr.pdf)
Je vous laisse, chers contributeurs, amis de ce WIKI, le soin de corriger, compléter et annoter ce texte.
- Que pensez-vous des études scientifiques ; peut-on leur faire confiance ?
- Ce que vous appelez « études scientifiques » est constitué par des « publications » dans des journaux scientifiques. Ces journaux pratiquent ce que l’on appelle le « peer review », c'est-à-dire la révision des manuscrits par des experts indépendants. Ces journaux sont accessibles en tout temps dans des bibliothèques ou sur internet. On peut donc faire confiance à l’ensemble de ces travaux nonobstant le fait que, si des erreurs sont commises ou si des manipulations de données ont eu lieu, elles ne tardent pas à être révélées, mises à jour, voir corrigées par un nouvel article critique. C’est ce qui fait la force des études scientifiques : leur caractère public et le fait qu’elles soient soumises à un contrôle permanent.
- Les plantes deviennent-elles plus résistantes et productives avec une utilisation des OGM ?
- L’un des principaux objectifs de développement de plantes génétiquement modifiées (PGM) est de les rendre résistantes aux attaques par des agents pathogènes (virus, bactérie) ou par des herbivores (insectes). A titre d’exemple de PGM cultivés aujourd’hui : des variétés de papaye résistantes à des virus et des variétés de maïs et de coton résistantes à des papillons ravageurs (maïs et coton Bt). De nombreuses plantes ont été rendue résistantes à un herbicide (colza, soja, maïs) ; dans ce cas c’est l’écosystème qui est gagnant, on peut en effet cultiver sans labourer et avec un minimum de traitement en préservant ainsi la faune et la microflore du sol.
- Que pensez-vous des réglementations actuelles sur les OGM ?
- Il s’agit d’une réglementation extrêmement sévère, surtout en Suisse et dans l’UE. Elle a comme objectif de prévenir d’éventuels risques pour la santé animale et humaine et l’agriculture en obligeant chaque nouvelle plante OGM à subir de nombreux tests avant d’être autorisée, soit à la consommation soit à la culture (en Suisse un moratoire en interdit la culture mais pas la consommation). Cette réglementation a comme conséquence que la mise sur le marché d’une nouvelle variété PGM est extrêmement coûteuse (le chiffre de 20 million de $ a été articulé). Cette règlementation fait, qu’aujourd’hui, seules de grandes multinationales semencières (Syngenta, Monsanto, BASF) peuvent se permettre de mettre sur le marché de telles variétés ; ceci n’est plus possible pour les institutions publiques (universités, stations agronomiques).
- Est-ce qu’un animal mangeant des produits génétiquement modifiés produit d’avantage ?
- A ma connaissance aucun OGM n’a été développé dans ce but, mais on peut imaginer concevoir des fourrages plus riches en acides aminés essentiels (méthionine, lysine, etc. …) et enrichis en enzymes (phytase). Les variétés OGM actuellement cultivées sont équivalentes, sur le plan nutritif, aux variétés non OGM.
- Y a-t-il des risques pour les animaux qui se nourrissent d’aliments génétiquement modifiés ?
- Les variétés OGM ne peuvent être distinguées des variétés non OGM, elles ne différent de celles-ci que par le trait nouveau qu’on a ajouté2. Non seulement les nombreuses études scientifiques effectuées depuis plus de vingt ans n’ont jamais démontré un effet nocif des OGM, mais aucun cas de malnutrition ou de maladie du bétail n’a été constatée depuis 1996, date de la première commercialisation d’un PGM. Il existe quelques travaux, très médiatisés, qui ont fait état d’une possible toxicité, mais, ils n’ont jamais pu être reproduits, ont été réfutés par de nombreuses études ultérieures et ne sont plus aujourd’hui considérés comme pertinents. Les plantes OGM sont tellement testées, qu’elles sont aujourd’hui considérées comme plus sûres que les variétés traditionnelles.
- Et maintenant, pour la personne mangeant du bœuf ou buvant du lait provenant de cet animal court-elle un risque pour sa santé ?
- Non, car les PGM autorisés ne sont pas dangereux (voir ma réponse à la question précédente), et les protéines de la plante (OGM ou non) consommée par l’animal sont entièrement digérées et métabolisées et ne peuvent être retrouvées, ni dans le lait ni dans la viande.
- Quelles sont les conséquences pour l’agriculture ? Avantages / Inconvénients.
- Il s’agit d’une question complexe. Dans un monde idéal, les OGM ne présenteraient que des avantages pour l’agriculture, en permettant de diminuer l’usage des pesticides (OGM résistants aux insectes et aux maladies) en allégeant le travail des agriculteurs (plantes résistantes aux herbicides) et par conséquence en leur procurant un gain économique. Aujourd’hui, cependant, la situation est différente. Les campagnes de dénigrement systématique des OGM par certaines grandes organisations (Greenpeace) et partis politiques ont contribué à créer un sentiment généralisé de méfiance dans le public. La création d’une filière « BIO » très puissante, soutenue par les grands distributeurs (Migros, Coop), qui banni absolument tout OGM, est venu ajouter une dimension économique à cette problématique. La législation qui a été mise en place a intégré cette méfiance et cette problématique économique en rendant la culture des OGM très risquée sur le plan économique. En Suisse, bien que les agriculteurs, d’une manière générale, soient favorables aux OGM, aucun n’acceptera de prendre les risques associés une telle culture (procès, boycott). Les organisations professionnelles agricoles qui doivent négocier les compensations financières considérables liées à la nouvelle politique agricole sont d’ailleurs opposées à la culture d’OGM. La situation est entièrement différente dans le reste du monde (USA, Canada, Brésil, Argentine, Inde, Chine, Afrique du Sud etc.), où les OGM sont plébiscités par les agriculteurs.
- Trouvez-vous la collaboration entre agriculteur et scientifique suffisante concernant l’actualité des OGM?
- Les scientifiques qui développent des plantes transgéniques, le font d’une manière générale dans le but de résoudre un réel problème agronomique. Le problème est toujours formulé par les agriculteurs eux-mêmes voir suscité par des préoccupations plus générales (changements climatiques, pénurie alimentaire, etc…).
- Depuis combien de temps vous êtes-vous penché sur l’étude des OGM ?
- Depuis le début de la mise en place des méthodes de transgénèse, c'est-à-dire depuis 1980.
- Qu’est-ce qui vous à pousser à commencer cette étude ?
- La transgénèse s’est révélé dès le début une méthode efficace pour décortiquer toute la mécanique de la régulation génétique du développement des végétaux. Il s’agissait pour nous d’une méthode nouvelle et efficace de la génétique. Tous les laboratoires de biologie végétale utilisent des plantes transgéniques dans leurs travaux. Ce sont probablement plusieurs centaines de milliers de PGM qui ont été produits et utilisés en laboratoire ces 30 dernières années.
- Quels types d’OGM étudiez-vous plus particulièrement ?
- J’ai travaillé sur la production de pigments chez la betterave , et sur des méthodes générales de ciblage de gène. Ces dernières recherches permettent d’envisager une plus grande précision de la transgénèse, c'est-à-dire l’introduction d’un fragment d’ADN dans une position très précise du génome, ainsi que le remplacement d’une séquence d’ADN par une autre.
- Que pensez-vous de leur utilisation et la commercialisation en grande quantité des produits dérivant de cette nouvelle technique ?
- Rien de particulier ; l’agriculture est de toute manière un grand commerce, cela depuis la nuit des temps. Il faut produire de quoi nourrir 6 -7 milliards d’êtres humains et pour cela nous devons utiliser tous les moyens à notre disposition y compris la culture de PGM si nécessaire, c’est notre devoir.
- Trouvez-vous les réglementations actuelles sur ces produits correctes ?
- Dans les grandes lignes certainement. Le seul reproche que je puis faire à la législation actuelle est de privilégier le mode de production « BIO » qui est tout, sauf parfait3. Pour être plus précis, je trouve la législation sur les seuils de tolérance (présence de trace d’OGM dans les produits « BIO » et autres) excessive, partisane et contre productive.
- Ne pensez-vous pas que les OGM sont au fond qu’un énorme enjeu économique ?
- En cela les semences OGM ne se distinguent pas des autres semences ; produire des bonnes semences est un travail très difficile et qui demande des compétences très pointues et des investissements importants. Si nous voulons que des institutions publiques prennent la place des grands semenciers, il faudrait inverser les priorités de l’économie libérale-capitaliste. Dans cette perspective, la Chine (pays dirigé par un parti communiste puissant) développe des plantes OGM dans des institutions gouvernementales (universités et centres de recherche agronomique) et fait produire des semences sous licence par des compagnies privées. Il y existe donc des modèles alternatifs. L’économie n’est pas une fatalité elle peut être orientée ; il s’agit essentiellement d’un choix politique. Il en est de même de l’introduction contestée du droit des brevets qui perturbe considérablement la recherche agronomique (voir plus loin).
- La population ne sait plus que pensez de ces manipulation génétique, les études se contredisent les unes après les autres ; que pouvez-vous dire à ce sujet ?
- Il s’agit d’une affirmation qui est contredite par les faits, mais qui est malheureusement propagée par certains journalistes mal informés. Il existe un consensus général dans les milieux scientifiques sur la nécessité de développer des PGM. Il existe très peux de publications scientifiques qui indiqueraient que les OGM présentent un danger pour l’environnement ou pour la santé. Elles ont toutes été analysées et réfutées abondamment (voir ci-dessus). Il y a tellement peu d’opposition envers les OGM dans les milieux scientifiques suisses, que les média doivent recourir à des intervenants étrangers lorsqu’ils veulent donner l’impression d’impartialité (principe du 50/50). Les milieux scientifiques suisses unanimes se sont opposés au moratoire de 2005, mais n’ont pas été entendus.
- Que pensez-vous des entreprises productrices d’OGM comme Monsanto ?
- Elles font leur travail. Je me rappelle que mon professeur de pharmacologie (il y a longtemps de cela) nous disait que le but principal des industries pharmaceutiques était de faire de l’argent et qu’on ne pouvait pas le leur reprocher. A nous de veiller, comme consommateur et citoyen, à ce que leur intérêt soit aussi de produire de bons médicaments et de bonnes semences (OGM ou non).
- Observez-vous une grande évolution dans les recherches par apport aux années précédentes ?
- Nous avons fait énormément de progrès dans la compréhension du fonctionnement des plantes et de leur interactions avec les écosystèmes. La biologie d’aujourd’hui est beaucoup plus intégrée que celle du 20ème siècle, l’interaction entre les disciplines est très forte. Le plus grand changement réside dans l’introduction des brevets sur le vivant. Lorsque nous travaillons entre 1960 et 1985, cette question ne se posait pas. Les nouvelles variétés végétales étaient protégées par ce qu’on appelle le principe de « protection des variétés ». Aujourd’hui notre travail est fortement perturbé par l’interférence des intérêts industriels ; ceux-ci constituent même parfois, lorsqu’un brevet est en jeu, un frein à la recherche. Nous étions beaucoup plus libres, il y a vingt ans. J’ai personnellement toujours refusé de faire breveter une découverte de mon laboratoire.
- Dans quel domaine (alimentation ; médecine ; agriculture ; environnement) voyez-vous la plus grande évolution ?
- C’est difficile à dire, mais je dirais que l’agriculture a beaucoup plus changé que la médecine. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’usage du génie génétique en médecine est encore très marginal ; on compte sur les doigts de la main les médicaments produits par génie génétique. En agriculture, le développement des OGM (en laboratoire ou en champ) est considérable (l’UE et la Suisse faisant figure d’exception). L’alimentation est encore peu touchée par le génie génétique ; mentionnons malgré tout, la production de vitamines par des bactéries OGM, d’enzymes pour la fermentation (fromages, vins) par des levures OGM. En ce qui concerne l’environnement, il existe de nombreux projets d’utilisation des OGM pour la dépollution des eaux et des sols, mais ceux-ci ne sont pas encore appliqués.
- Est-ce que leur commercialisation augmente beaucoup ces derniers temps ?
- C’est certain. Des pays comme l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ont augmenté considérablement leur surface de plantes PGM (riz, maïs, soja surtout) et la popularité de celles-ci sur le continent américain se confirme. On estime la surface totale de PGM cultivées dans le monde à 115 millions d’hectares (ISAAA report données 2007 & surface de coton Bt en Inde).
- Combien de temps vous faut-il pour mener à bout d’une étude fiable ?
- Pour développer une nouvelle variété végétale (non OGM), il faut compter 10 ans pour une céréale comme le maïs et 20 à 30 ans pour une nouvelle variété de pomme. A cela, il faut ajouter, pour un OGM, une dizaine d’année en laboratoire et en champ (études de toxicité, d’impact écologique). Les OGM actuellement cultivés ont tous été développés à la fin des années 80, nous avons donc largement utilisé le temps nécessaire à une étude fiable. Pour certain végétaux difficiles (comme la pomme mentionné ci-dessus) on pourrait gagner 10 ans en utilisant des méthodes de génie génétique.
- Les études que vous menées sont demandée par une entreprise ou c’est vous-même qui les menés à votre nom ?
- Le cheminement d’une collaboration avec l’industrie se passe comme suit : Je conçois, en totale indépendance, un projet de recherche, sur un sujet scientifiquement intéressant, que je cherche à faire financer par des fonds publics. Il se trouve parfois qu’après quelques années de travail les résultats obtenus intéressent une entreprise et qu’elle vous propose une collaboration. C’est la voie habituelle et je n’en ai personnellement jamais connu d’autres.
- Comment voyez-vous l’avenir des OGM dans le monde ?
- En toute tranquillité ; la transgénèse est une méthode efficace, qui permet de résoudre bien des problèmes qui se posent à l’agriculture d’aujourd’hui, en particulier la nécessité de diminuer les intrants (pesticides, engrais, carburants, etc.) ; ce n’est pas une panacée et il y a place dans certain cas pour des méthodes plus classiques. Même en Suisse et en Europe, nous finirons par cultiver des PGM, c’est un avenir inéluctable pour garantir une agriculture efficace et respectueuse de l’environnement.