De nouvelles plantes pour le caoutchouc

Le caoutchouc naturel est un polymère d’une molécule appelée cis-1,4 isoprène. Bien que le caoutchouc soit synthétisé par plus de 2000 espèces de plantes, seulement une a été développée pour produire ce polymère à un niveau commercial, i.e. Hevea brasiliensis ou l’arbre à caoutchouc. Malgré que la pétrochimie produise, depuis plus de 60 ans, des polymères ayant des propriétés élastiques similaires au caoutchouc naturel, ce dernier reste irremplaçable dans bien des applications où la résistance aux chocs et aux stress thermiques est essentielle. Par exemple, les pneus radiaux d’automobile contiennent environ 50% de caoutchouc naturel, les pneus de camion environ 90% et les pneus d’avion près de 100%. Dans le domaine médical, la résistance du caoutchouc naturel à des cycles répétés de stérilisation ainsi que la grande tactilité des gants en latex dérivé d’Hevea en font un polymère indispensable. Le caoutchouc est classé par le gouvernement américain comme un produit stratégique. C’est pourquoi lors du blocus des exportations de caoutchouc par les Japonais lors de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis ainsi que la Russie ont tous deux développé de grands programmes de recherche pour établir des nouvelles sources de production de caoutchouc naturel. La fin de la guerre et le retour des exportations de caoutchouc ont mis fin prématurément à ces développements.

Hevea brasiliensis est une plante native du bassin amazonien. Des graines d’ Hevea ont été importées en Grande-Bretagne par bateau en 1876 par Henry Wickham, pour être ensuite cultivées au jardin Kew. On estime qu’environ seulement une vingtaine de graines ont pu germer et être cultivées en serre. Un stock de graines constitué à partir de ces quelques plantes a ensuite été utilisé pour initier les grandes plantations d’ Hevea dans les colonies britanniques d’Asie, i.e en particulier en Malaisie. À ce jour, la Thaïlande, la Malaisie ainsi que l’Indonésie produisent à elles seules environ 80% du caoutchouc naturel mondial.

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La production du caoutchouc par Hevea est associée à plusieurs problématiques. Premièrement, Hevea est très sensible au pathogène Mycrocyclus ulei (responsable de la maladie sud-américaine des feuilles), qui est endémique aux forêts amazoniennes. La présence de ce pathogène a détruit les espoirs d’Henry Ford de développer une culture intensive de cet arbre au Brésil. L’absence de ce pathogène en Asie a jusqu’à présent été la clé du succès des grandes plantations des pays de cette région. Cependant, l’importation et l’établissement éventuel de ce pathogène en Asie seraient dévastateurs pour la production et aucune variété résistante à ce pathogène n’a encore été développée. De plus, bien qu’une forte industrialisation de la Chine et de l’Inde au cours des prochaines décennies impliquera une augmentation importante de la demande en caoutchouc naturel, nous assistons actuellement au remplacement des plantations d’ Hevea en Malaisie et en Thaïlande par la culture de palmier à huile, plus rentable et qui peut être mécanisée. Il faut savoir que la récolte du caoutchouc d’ Hevea se fait aujourd’hui de la même façon qu’il y a 100 ans, i.e. manuellement par la collecte quotidienne du latex suintant d’une incision pratiquée dans l’écorce. L’augmentation des revenus de la population de plusieurs pays d’Asie rend difficile le maintien de culture nécessitant une main-d’oeuvre bon marché. De nouvelles plantations sont donc établies dans des pays comme le Laos, le Vietnam et le Myanmar, au détriment des forêts tropicales [3]. Tout comme durant la deuxième guerre mondiale, il est maintenant jugé important de pouvoir développer des sources alternatives d’approvisionnement en caoutchouc naturel.

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C’est dans ce contexte que la communauté européenne a lancé un nouveau programme de recherche ayant pour but de développer une production européenne de caoutchouc à partir de deux plantes [1] & [2], soit le pissenlit russe (Taraxacum koksaghyz) et le guayule (Parthenium argentatum).

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Bien qu’apparenté au pissenlit commun (Taraxacum officinale) présent dans nos jardins, le pissenlit russe produit un caoutchouc d’une plus grande qualité et en plus grande quantité que sa cousine. Cette plante est native du Kazakhstan et accumule le caoutchouc principalement dans les racines. Le pissenlit russe serait adapté aux conditions de croissance présentes sur une grande partie de l’Europe. En contraste, le guayule est une plante native des déserts du Mexique et du sud-ouest américain qui accumule le caoutchouc dans les tiges. Cette plante serait donc plutôt adaptée aux pays de l’Europe du Sud et du pourtour méditerranéen. Le projet EU-PEARLS (www.eu-pearls.eu) regroupe 11 partenaires provenant de la Hollande, d’Espagne, d’Allemagne, de France, de la République Tchèque, ainsi que de la Suisse (l’Université de Lausanne). Les partenaires d’EU-PEARLS étudient des aspects aussi divers que la découverte des gènes et protéines impliquées dans la synthèse du caoutchouc, le développement de variétés de pissenlits et guayules adaptées au climat européen, le développement de méthodes d’extractions, la valorisation des produits secondaires, l’analyse des propriétés du polymère ainsi que son application en industrie. Ce programme de 4 ans est financé à hauteur de 8 millions d’Euros.

Bibliography
1. Van Beilen JB, and Poirier Y (2007) Establishment of new crops for the production of natural rubber. Trends Biotechnol. 25 : 522-529.
2. Van Beilen JB, and Poirier Y (2007) Guayule and russian dandelion as alternative sources of natural rubber. Crit. Rev Biotechnol. 4 : 217-231.
3. Ziegler et al. (2009) The Rubber Juggernaut Science 22 : 1024-1025
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