Editorial de mars 2010
Le Conseil national a accepté, au 8 mars 2010, une modification de la loi sur le génie génétique proposée par le Conseil fédéral, prolongeant le moratoire qui interdit l'utilisation des OGM en agriculture jusqu'en 2013. Nous avons déjà exprimé nos réserves quant à l'opportunité de cette prolongation; nous rappellerons aussi que les milieux scientifiques suisses se sont opposés à cette dernière.
Il est vrai que ces temps-ci la politique ne fait pas bon ménage avec la science. Le quasi échec de la conférence sur le climat de Copenhague a démontré que les politiques se moquent des documents qui leur sont soumis par les experts scientifiques; ils ont des objectifs à bien trop court terme pour pouvoir percevoir et comprendre les enjeux qui sont mis sur la table. Le petite controverses sur la validité de certains résultats, la rétractation de quelques prédictions erronées a donné prétexte à certain pour mettre en doute l'ensemble des données accumulées ces dernières décades sur les changements climatiques en cours.
Le parallèle avec la soi-disant problématique des OGM est frappant, en Suisse et dans quelques pays européens on cherche à tout prix à discréditer les milieux scientifiques; on essaye de faire croire au citoyen que ces derniers ne font pas et n'ont pas fait leur travail. On monte en épingle quelques travaux, la plupart assez peu convaincants, voir franchement nuls, qui prétendent mettre en cause les donnée accumulées depuis plus de 20 ans d'expérience en champs et en laboratoire. La quasi paralysie qui saisit la plupart des politiques au seul mot d'OGM est assez pathétique; on a l'impression qu'au delà des mots d'ordre de certain partis politiques pour lesquels la discussion est close, beaucoup d'homme et de femme politiques ne saisissent pas que ce qui est en jeu c'est non seulement l'avenir de la recherche agronomique en Suisse, mais aussi la possibilité d'une agriculture vraiment durable utilisant toutes les technologies disponibles aujourd'hui pour atteindre ses objectifs.
Nous avons résumés sur ce site les prises de position des milieux scientifiques suisses, si l'on excepte ceux qui travaillent directement au bénéfice de l'agriculture biologique (essentiellement au FIBL) et qui doivent donc défendre, par obligation, des intérêts sectoriels, tous ont fourni des arguments contre cette prolongation.
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Aubergines (Brinjal)
L'aubergine (Solanum melongena) fait partie de la famille des solanacées. Originaire d'Asie elle constitue un des aliments clé du sous continent indien ou elle est connue sous le nom de Brinjal. Elle est cuisinée sous différentes formes par toutes les classes de la société indienne; largement disponible sur les marchés elle est un légume très populaire. Ses qualité nutritives, elle est riche en vitamines B et acide folique, en font un complément utile et bienvenu du riz et autres farineux. La médecine ayurvédique l'utilise dans le traitement du diabète; les déchets de culture sont utilisés comme combustible.
Après la Chine, l'Inde est le deuxième producteur mondial avec plus de 500'000 hectares cultivés.
Plusieurs insectes ravageurs s'attaquent au Brinjal et, que ce soit dans des grandes cultures ou dans la modeste plantation du petit fermier, l'usage d'insecticides est requis à un moment ou l'autre de l'année, entraînant coûts et dégât sanitaires et environnementaux. Les larves du lépidoptère Leucinodes orbonalis trouent les tiges et les fruits. Le développement d'une aubergine transgénique résistante était donc un projet intéressant pour l'agriculture [1].
Il y a une dizaine d'année les scientifique du National Research Centre for Plant Biotechnology ont montré que l'introduction d'un gène synthétique cry1Ab codant pour une protéine insecticide (insecticidal crystal protein - ICP) de Bacillus thuringiensis (Bt) conférait une bonne résistance au ravageur. Des plantes résistantes basées sur une technique similaire furent aussi développée par la firme Mahyco. En fait le développement s'est réalisé sur plusieurs fronts à la fois impliquant institutions d recherche publiques et laboratoire privés.
Depuis l'année 2000, les différentes variétés de Brinjal-Bt ont passé au travers d'un processus de contrôle, d'évaluation et d'introgression dans des variétés locales qui, en 2009 a abouti à une demande commercialisation auprès du gouvernement indien.
- de 2000 à 2002: évaluation en serre
- de 2002 à 2005: évaluation des flux de pollen, de l'allergénicité et autres toxicités, des impacts sur la faune et flore du sol, de l'agressivité (weediness) et de l'équivalence substantielle .
- de 2004 à 2007: évaluation en champs (MLRT multi location research trials) dans plusieurs sites.
- de 2007 à 2009: évaluation à large échelle (LST large scale trials) par divers centre de recherche et firmes privées. Production de semences hybrides.
Ces différentes étapes ont toutes été placées sous la haute surveillance du GAC (Genetic engineering approval committee).
On attend de l'introduction du Brinjal-Bt une diminution de l'usage des pesticides de 40 à 70 %, une augmentation du nombre de fruit vendables au marché (non troués) d'environ 20 à 60% et une augmentation des revenus globaux de 20% par rapport aux variétés non-OGM actuellement cultivées
Document complémentaire en anglais
L'aubergine-Bt constituera le 4ème cas de commercialisation d'un fruit-légume OGM après la tomate (FLAVSAVR), la papaye, la courge (aux USA) et le premier exemple de commercialisation d'un aliment de base majeur. Une mise au point sur l'application des biotechnologies à l'aubergine est disponible [2].
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Enrichir les tomates en anthocyanes

Les anthocyanes sont des pigments présents, à des concentrations très diverses et sous des formes variables, chez la plupart des plantes. Leur valeur alimentaire, surtout comme anti-oxydant, et leur couleurs variées font que les fruits et légumes riches en anthocyanes sont très recherchés. Contrairement au fruit d'une autre solanacée comme l'aubergine, le fruit de la tomate ne contient que peu ou pas d'anthocyanes; la production de tomates violettes (noires) a rencontré un certain succès dû à l'esthétique culinaire et aux effets bénéfiques supposés ou réels sur la santé. Les tomates noires hybrides produites par introgression de variété de Lyopersicum sauvages comme la variété Kumato™ de Syngenta ne contiennent que peu ou pas d'anthocyanes dans le fruit. Il est par contre possible de stimuler massivement la production endogène d'anthocyanes chez Lycopersicum esculentum par transgenèse en sur-exprimant des facteurs de transcription allogènes provenant, dans le cas décrit ci-après, d'Antirrhinum majus (la gueule de loup) [10].
Nouvelles tomates OGM
La voie biochimique naturelle de la biosynthèse des flavonoïdes (groupe de composés auquel appartiennent les anthocyanes) comprend une vingtaine d’enzyme. Dans la chaire du fruit de tomate cultivée aucune des enzymes de cette voie métabolique n’est exprimée, alors que dans la peau la synthèse s’arrête à l’enzyme chalcone-isomérase qui n’est pas exprimée. Croisements avec des espèces sauvage de tomates, tentative d’expression de gènes hétérologue, n’ont jamais permis d’obtenir des fruits de tomates riches en anthocyanes. Le choix de facteurs de transcription de la gueule de loup TFs – Del & Rosea1 (Ros1), mis sous le contrôle d’un promoteur spécifique des fruit nommé E8 a permis de débloquer la situation et de mettre en route la voie de biosynthèse des anthocyanes [11]. Le fruit accumule des anthocyanines du type delphinidine (3 mg/g); cette accumulation ne se fait pas au dépend des caroténoïdes, autres antioxydants caractéristiques de la tomate.
Les nouvelles variétés ainsi produites ont un effet protecteur contre le cancer chez la souris.
Pour plus d'informations consultez le site d'Internutrition & pour tout savoir sur la génomique de la tomate et autres solanacées, consultez le site du Solanaceae Genomic Network
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L'Europe & son moratoire
La France, l'Allemagne, l'Autriche; les uns après les autres, certains gouvernements européens mettent des obstacles à l'utilisation des PGM dans l'agriculture. En ce qui concerne les deux premiers pays, il s'agissait d'empêcher dorénavant l'utilisation de la variété de Maïs Bt MON810, variété déjà cultivée les années précédentes dans le midi de la France et en Espagne, entre autre. Dans ces deux cas, l'argument utilisé ne concerne pas la santé humaine, mais la protection de l'environnement (voir ici dans notre forum). Sur le terrain, les destructions de cultures expérimentales se sont poursuivies en Allemagne où des pommiers résistants au maladies fongiques ont été détruits.
L'avatar autrichien
Le dernier avatar de cette histoire nous est rapporté en cette fin juin 2009; dans un document signé par 10 autres pays européens le gouvernement autrichien propose que soit inclus dans le processus d'autorisation de culture d'un PGM « des critères socio-économiques » . Le document précise que : « En plus des raisons relatives à la protection de la nature et de la biodiversité, les critères socio-économiques adaptés pourraient ainsi conduire à une interdiction de la culture des OGM sur la totalité des territoires ou de certaines zones déterminées individuellement par les États-membres ».
Il est intéressant de constater qu'il s'agit d'introduire, semble-t'il pour la première fois, dans un règlement concernant la sécurité alimentaire des "critères socio-économiques".
L'évolution des arguments visant à interdire la culture de PGM à donc procédé en 4 étapes
- Rejet de principe de toutes altération du vivant par la transgenèse et donc à l'interdiction totale des OGM (argument abandonné et rejeté en Suisse par décision du peuple, lors de la votation GenLex de 1998)
- Arguments sanitaires impliquant une dangerosité de la technologie OGM pour l'homme et les animaux (aucune interdiction de consommer des aliments contenant des PGM autorisés n'est à l'agenda)
- Les risques avérés ou potentiels d'atteintes à l'environnement ont été remis au goût du jour par les décisions françaises et allemandes (il est cependant probable que ces décision ne pourront être maintenues, tant elles sont fondées sur des arguments sans réelle valeur)
- Enfin nous voilà face aux risques socio-économiques dernier rempart contre l'utilisation des biotechnologie agricoles (on verra ce qu'il en sera ces prochains mois)
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Sécheresse et autres "stress"

Une adaptation rapide et souple de l'agriculture aux changements climatiques importants et imprévisibles qui sont en marche, va nous obliger à utiliser les biotechnologies vertes en compléments des méthodes traditionnelles pour accélérer la sélection végétale.
Les plantes ont développé de nombreuses stratégies pour s’adapter à des environnements divers. Les effets de l’évolution naturelle et de la sélection agricole ont contribué à adapter chaque espèce de plante cultivée (maïs, orge, riz, haricot, lentille, etc. …) à un contexte climatique et édaphique particulier et relativement restreint. Les exigences de l’orge et du riz ne sont de toute évidence pas les mêmes, la première céréale est très bien adaptée à des régions sèches et froides et l’autre, même pour les variétés cultivées sans irrigation, est mieux adaptée aux climats humides et chauds.
Le terme de « stress » couvre toutes les catégories de conditions extrêmes auxquelles peuvent être soumises les plantes cultivées : sécheresse, froid, chaleur, excès d’eau, salinité & bien entendu tous les prédateurs, parasites et maladies bactériennes, fongiques et virales.
Au sein d’une espèce donnée et des espèces apparentées il existe une variabilité génétique exploitable, si ce n’est déjà exploitée, que l’ont peut utiliser pour augmenter la tolérance à un stress donné. La génomique et la transgénèse (OGM) ont contribué à faciliter l’intégration de caractères de résistance au stress, en raccourcissant le temps nécessaire pour obtenir une nouvelle variété et, surtout en permettant l’intégration de caractères intéressants provenant de plantes non apparentées taxonomiquement ; nous en donnons ici brièvement un exemple.
Maïs résistant à la sécheresse.
En Afrique la production de maïs peut varier du simple au double entre une année sèche (1992 : 12,5 million de tonne) et une année normale (1993 : 23,5 million de tonnes). On voit bien que même si toutes les autres conditions sont optimales de telles variations peuvent entraîner des déficits alimentaires graves. Si l’on ajoute à cela l’augmentation de la population qui va se poursuivre ces prochaines années, le problème est réel. Plusieurs programmes de recherche sont en cours pour développer des variétés résistantes. L’approche du problème doit être multifactorielle : On estime que 25% des pertes dues à la sécheresse pourraient être compensées par une amélioration génétique, 25% par une amélioration des techniques culturales (par ex. cultures sans labour) et 50% par l’irrigation. En ce qui concerne la génétique les semenciers pratiquent une approche en trois temps :
- un tri attentif des hybrides montrant une tolérance exceptionnelle à la sécheresse (déjà disponibles)
- une sélection assistée par marqueur (MAS – 2 à 3 ans)
- utilisation de la transgenèse (5 à 10 ans)
Deux publications de chercheurs de la firme Monsanto montrent quelles sont les approches possibles pour augmenter la résistance aux stress.
La première des ces approches [12] met en jeu l’utilisation d’une sub-unité d’un facteur de régulation nucléaire. Le réponse à un stress implique la mise en œuvre de plusieurs voies de signalisation (réponse à l'éthylène, à l'acide absicissique, etc…), d'où la nécessité d'utiliser un signal général permettant le contrôle simultané de toutes ces voies. C'est le rôle de NF-Y et en particulier de sa sub.unité B. Le gène ZmNF-YB2 de Zea mays est placé sous le contrôle du promoteur de l'actine d'Oryza sativa (OsRACT::ZmNF-YB2). En essais en champ, sous l'effet d'un important stress hydrique qui diminue le rendement de 50%, les maïs transgéniques (en fait cisgéniques) se comportent mieux que les plantes contrôle isogéniques (parfois jusqu'à 50% selon les années.
La deuxième approche [13] utilise un gène bactérien (CspB de Bacillus subtilis) codant pour une protéine chaperonne de RNA appelée CSP Cold Shock Protein. Cette dernière approche permet, chez le maïs (événement CspB-Zm), dans des test de croisements hybrides sur 3 ans, des gains de 10 à 15% en condition stress hydrique (déficit en eau). Cette protéine confère aussi une résistance au riz et à Arabidopsis.
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L'intelligence des plantes

Les dérives sémantiques sont une propriété du langage dans le monde réel et font partie de son évolution. L'usage des métaphores se généralise et perturbe souvent la discussion.
On parle aujourd'hui d'"intelligence artificielle" voire d'"intelligence animale". C'est dire que, dans l'usage courant, le terme "intelligence" réservé dans son sens premier à l'homme, s'applique aujourd'hui aux animaux et aux machines (électroniques, bioniques ou autres). Pourquoi les plantes ne serait-elles pas elles aussi dotées d'une "intelligence des plantes"?
Dans un autre registre, celui de la mouvance créationniste, une tendance se dessine à promouvoir le "dessein intelligent" (intelligent design), idéologie qui se réfère à l'existence d'une entité intelligente (dieu) pour expliquer l'évolution. Certains milieux anti-OGM utilisent le concept d'intelligence des plantes pour conférer à celles-ci une "dignité" qui rendrait sacrilège toute manipulation génétique du végétal. Certains scientifiques auraient-ils, en abusant de la métaphore, donnés aux contempteurs de la science les verges pour qu'on les batte. Il est vrai que même le grand Darwin avait usé du terme cerveau (brain) dans son texte "The Power of Movement in Plants", mais dans une simple et candide analogie.
Les acteurs de ce débat
- Anthony Trewavas, professeur de biologie végétale à l'Université d'Edimbourg (par ailleurs grand pourfendeur d'anti-OGM), défend le principe de l'intelligence des plantes. Dans plusieurs articles mais surtout dans celui paru en 2005 [3], il affirme que l'on peut parler d'intelligence car les plantes ont a) un comportement adaptatif, b) un système d'intégration des informations sur l'ensemble de l'organisme et enfin c) une capacité d'apprentissage en fonction des modifications de l'environnement.
- La fondation en 2006 d'une société spécialisée par Frantisek Baluska (Université de Bonn) et Stefano Mancuso (Université de Florence) va consacrer l'apparition d'un nouveau terme, celui de neurobiologie des plantes. Ils fondent ainsi une nouvelle discipline dont le but est d'étudier comment les plantes perçoivent et intègrent les inputs environnementaux au travers d'un réseau de structures [4].
Les réactions
On pourrait penser que ces articles ne suscitèrent aucune réaction majeure dans le monde tranquille de la biologie végétale. Ce ne fut pas le cas et le débat se poursuit encore.
La première réaction à la création du concept de "neurobiologie" fut celle d'une trentaine de scientifiques réunis autour d' Amedeo Alpi de l'Université de Pise [5] qui dans un texte très court affirment que ce concept brouille le champ du savoir en introduisant une notion fondamentalement imprécise, inappropriée et finalement redondante puisque, depuis plusieurs années, les recherches dans le domaine de la transmission des signaux dans et autour de la plante sont actives et productives. Dans leur réponse Brenner et al. [6] font appel à des précédents historiques dont celui de Darwin (déjà mentionné), arguant même du fait que la médecine a emprunté le terme de neurone à la botanique (sic !!!). Leurs arguments sont bien peu convaincants. La réponse de A. Trewavas est beaucoup plus intéressante [7] puisqu'il y défend le rôle créatif de la métaphore dans l'imaginaire scientifique.
Récemment plusieurs articles ont analysé la situation en profondeur, à l'abri de la tempête de 2005-2006. Celui de Struik et al. [8] de l' Université de Wageningen, met en évidence le principe de "parcimonie" qui depuis le fameux rasoir d'Okham devrait sous-tendre toute démarche scientifique et le danger sournois que l'usage abusif de la métaphore fait courir à la rigueur de la pensée scientifique. Dans un registre différent, Peter Barlow de l'Université de Bristol [9] rappelle, parmi d'autres, le fait incontestable de la nature modulaire de l'organisme végétal qui en fait, à la limite, plus une communauté de structures qu'une structure strictement intégrée comme le corps humain. Il propose de réconcilier les points de vues dans le cadre d'un Théorie des Systèmes Vivants (LST : Living System Theory).
L'approche de Barlow a le mérite de nous rapprocher de ce que tous le biologistes des plantes savent déjà depuis longtemps, à savoir que les plantes et leur environnement doivent être étudiés dans une approche intégrée. Les essais en champ en condition "réelles" sont aujourd'hui une des conditions d'une recherche valable et fructueuse dans les domaines de la biologie des plantes et de l'agronomie.
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